Tout d’abord, un immense merci à Flo. J’ai eu la chance de
découvrir ce roman en avant-première, en tant que bêta-lectrice. Et même plus,
puisque j’avais eu le plaisir de découvrir le prologue il y a presque deux ans,
de passage chez Flo qui me l’avait fait lire. Je vous laisse deviner à quel
point j’avais hâte d’avoir la totalité du roman entre les mains, après avoir lu
ces premières pages !
Comment parler de Flo sans parler de sa plume ? Ceux et
celles qui me suivent depuis longtemps savent à quel point j’avais adoré Aux
Petites Heures de la Nuit et Marathon Men, de la même autrice, entre autres
pour la qualité de l’écriture de Flo (pas que, évidemment, ces histoires sont
géniales et je vous invite à les lire. Si vous n’êtes pas convaincus, déjà
filez lire mes chroniques pour ces deux romans :
Trève de digression. J’ai donc un grand faible pour la plume
de Flo, qui, déjà, est si fluide, belle, envolée et riche, mais en plus se plie
parfaitement à l’ambiance de ce livre. En effet, l’époque retracée ici est
celle de l’après-guerre, années 20, et le style de l’autrice se marie à
merveille avec l’atmosphère d’une telle période, entre élégance, lyrisme,
retenue et réalisme parfois poétique.
Vous le savez, j’adore
les romans historiques. Alors forcément, savoir que j’allais plonger ici dans
une autre époque, à la fois proche et lointaine de nous de bien des manières,
me plaisait d’avance. Et c’est une immense réussite, je me suis complètement engloutie dans l’atmosphère des années 20 à travers ce récit, j’y étais,
complètement. Comme je l'ai dit à l’autrice, je suis en plein dans la série
Downton Abbey en ce moment, qui se déroule dans la même période, et ça collait
parfaitement. C'était même un plaisir de suivre les deux en parallèle,
d'approfondir l'époque en passant d'un média à l'autre. De pouvoir faire tous
ces ponts, tous ces parallèles entre L’Élégie et Downton.
Les quelques scènes de guerre que l’on suit dans le roman,
qui se déroule après la guerre mais comporte certains flash-backs ou retours en
arrière, sont violentes et crues, elles vous projettent complètement dans
l'horreur et la terreur du moment, aux côtés des pauvres soldats vivant cet
enfer.
D'un autre côté, la pudeur de ces mêmes survivants au
quotidien, alors que plus personne ne veut entendre parler de la guerre, alors
que personne ne les croit sur ce qu'ils ont vu et vécu était complètement à
l'opposé de la brutalité des combats et bombardements, et très bien menée.
C'est assez terrible la manière dont l’autrice amène les injustices faites à
ces héros de guerre devenus de pauvres hères souvent sans le sou, que tout le
monde trouve ennuyeux, et qui en sont réduits au rang de poids pour la société,
alors qu'ils ont tout donné. J'ai adoré ces contrastes, ce réalisme empreint de
poésie dans tout ce que l’autrice décrit. Que ce soit cela ou les batailles,
les dessins de Marceau, notamment celui qui est décrit en détail d’un cheval
mort sur un champ de bataille, mais pas que, Flo met une note de beau dans
l'horreur et le laid, une note d'humour dans ces moments de pure terreur qu'ont
vécus nos chers poilus, c'est un vrai plaisir à lire, même si évidemment, ça a
un côté dur, cru, bouleversant.
J'ai beaucoup aimé aussi les doux contrastes des deux mondes
presque opposés que sont celui de Marceau (classe plutôt pauvre) et celui d'Armande (famille de riches bourgeois ayant profité de la guerre pour faire davantage fortune), la manière dont Flo
évoque l'après-guerre et le mélange subtil des classes sociales alors que la
société évolue. Là encore, tant de différences, tant d’impossibles, et pourtant
la guerre aura permis de changer la donne, de permettre de créer des passerelles
entre ces univers.
Le personnage d'Armande est extraordinaire. J'ai aimé la
manière dont l’autrice la rend féministe, décidée et avant-gardiste, et
pourtant pleinement de son époque. Elle a beau lutter pour sa liberté et son
indépendance, elle reste cette femme frêle et délicate, élégante et racée qui
provient d'un ancien monde, dont elle possède les codes. Elle s'en émancipe
tout en conservant les stigmates de son éducation. Retenue, innocence, un fond
de naïveté, qui la rendent tellement attachante, même si parfois ce sont des
poids du passé dont elle aimerait s’affranchir. Elle évolue, devient plus
libérée, plus volontaire, plus dégourdie, mais elle garde cette douce pudeur et
cette marque de son monde, de la société dans laquelle elle a évolué. C'est
beau et touchant.
La romance entre Marceau et Armande est pour le coup
complètement ancrée dans ce monde. Timide, douce, discrète, ils s'aiment comme
des fous et pourtant ils respectent ces codes d'un autre temps, qui ne peuvent
que toucher, émouvoir et faire sourire. Ils sont tout bonnement adorables dans
leurs balbutiements, dans leur retenue, dans ces gestes et mots doux qu'ils
échangent. Beaucoup de passion dans les appellations qu’ils se donnent, dans
certains baisers, et pourtant toujours cette pudeur, cette timide chasteté qui
appartient à leur monde. Le vouvoiement était parfait pour l'époque, il nous
plonge encore davantage dans cette ambiance 20ties, dans ces règles de ce monde
à la fois si proche de nous, et pourtant foncièrement différent. C'est doux,
c'est beau, c'est léger, touchant et drôle.
Je les ai tous les deux adorés, ils sont à la fois si
semblables et si différents, deux doux rêveurs qui osent croire à un autre
monde et sont prêts à le cueillir sans souci des conséquences, ou presque. La
poigne d'Armande est adoucie par la tendresse et la timidité de Marceau, son
cartésianisme par la poésie et la sensibilité de cet homme à la fois charmant
et tout doux. En fait, globalement, j'ai aimé les contrastes des différents
poilus qu’on croise à travers le roman, ils ont fait la guerre, ils ont tué des
hommes, mais ils sont tellement doux et gentils! C'est une excellente idée
d'avoir brisé l'image du soldat dur, coriace et cruel, qui n'est en rien la
réalité, bien sûr.
Le personnage de Marceau, donc, m'a beaucoup touchée
également. J'aime son côté artiste, j'aime son monde intérieur torturé, qui peu
à peu se colore alors qu'il découvre l'amour auprès d'Armande. J'aime ses rêves
fous, ses espoirs sans limites, la manière dont il se lance à corps perdu dans
cet amour qui devrait être interdit, pensant plus à l'idée qu'Armande puisse un
jour le détester à cause de son bras en moins qu'à la possibilité que les
Meaudre (la famille d’Armande) les séparent tous les deux... Ils sont tous les
deux résolument tournés vers l'avenir, et ça a un côté beau et magique.
J'aime aussi la manière dont, encore une fois, Flo traite du
handicap. Avec ce tact qui est sien, entre gravité et légèreté, souffrance et
humour. Suivre les pensées et douleurs, psychiques et physiques, de Marceau,
mais aussi la manière dont il veut avancer dans la vie, dont il traite parfois
son handicap avec tellement d'humour, je trouve ça juste, et beau. Cela nous
permet d'appréhender le handicap, quel qu'il soit (puisque là encore, le
handicap est évoqué de multiples manière, à travers les personnages magnifiques
que sont Jean et sa jambe raide, et Paul, bien sûr, et sa terrible
histoire...), de le vivre, de l'accepter sans en faire des caisses ni tomber
dans la pitié. C'est une belle leçon de vie que cet axe que l’autrice aime
utiliser dans ses romans, et qui ici fait évidemment sens, puisqu’on y parle de
l'après-guerre et des ravages de cette dernière...
J'ai énormément apprécié le personnage de Paul, et son
histoire. Globalement, les personnages m'ont tous semblé ou bien attachants, ou
bien vraiment désagréables, mais Paul m'a particulièrement émue, sans doute
parce que l’autrice nous fait vraiment entrer dans son vécu vis-à-vis de la
guerre... et pire encore, de ce qu'il a subi après, à cause du corps médical.
Cette époque est absolument horrible pour les personnes qui
ont des troubles psychiques (heureusement que Paul n'a pas annoncé aux médecins
son secret qui n’en est plus un pour ses proches :’( ), et Flo retrace
très bien cette manière dont il est baladé partout, sans pouvoir dire stop ou
faire cesser ce qui tient plus d'expérimentations douteuses que de réelles
avancées de la médecine, les tortures subies, qui le font au final plus encore
plonger dans sa souffrance et sa "maladie"... C'est terrible.
Et la manière dont il reprend vie peu à peu, avec Edmond,
puis avec Armande, est très touchante. Montrer qu'il y a de l'espoir, qu'il
faut juste trouver les personnes capables de nous écouter, de nous comprendre,
et de nous accepter. Le duo Edmond-Paul, au passage, est aussi discret que
touchant, surtout qu'au final, ils auront eu besoin l'un de l'autre, et seront
capables pour l'un de donner après avoir reçu, pour l'autre d'accepter de
recevoir en retour...
Une belle place est donnée aux arts, appréciable car elle met
tout en perspective. Tantôt synonyme de souvenirs, soutien pour une guérison
inespérée, lueur d'espoir, support à l'intrigue, entre magie, horreur et
suspens, le dessin, la musique, l'écriture sont des piliers importants de l'histoire,
que j'ai énormément appréciés.
L'intrigue en elle-même est palpitante et bien menée. On y
sent l'influence de Cthulhu (c’est annoncé dans l’avant-propos, c’est inspiré
de l’ambiance de Cthulhu sans chercher en rien à copier l’idée du mythe, juste
en intégrant de petites touches des éléments de cet univers, de sa cosmogonie,
simplement), mais discrète, par touches de douceur, un petit fond d'horreur qui
ne tombe pas dans le mélo ou dans l'insoutenable, juste ce qu'il faut pour
captiver l'attention et rendre impossible l'idée même de lâcher le bouquin!
C'est haletant et palpitant, cela donne une soudaine dynamique à la douceur de
l'histoire.
Pour ma part, j'ai adoré toute la première partie dans
laquelle "il ne se passe rien", j'y mets des guillemets parce que
suivre le quotidien de nos héros, voir leur romance naitre, assister à toute
cette effervescence dans ce monde d'après-guerre en soi ce n'est pas "rien
se passer", évidemment. On vit avec les personnages, on plonge dans leur
univers, on s'émeut, on s'agace et on s'émerveille avec eux...
Et puis peu à peu le rythme se fait plus rapide, plus
endiablé, alors qu'Armande et Marceau montent à Paris et enquêtent sur les
misères d'Edmond... On saute d'un coup dans l'effervescence de Paris, avec
cette enquête qui devient plus emmêlée, plus inquiétante, plus intrigante au
fil des pages. Ce changement de cadence arrive au bon moment, et m'a semblé
juste parfait. Les révélations s'accumulent, se précisent, l'action devient omniprésente,
l'étau se resserre... Et on se met à vibrer différemment avec les personnages,
qui s'aiment davantage à chaque page, peut-être un peu poussés par la peur qui
leur serre le ventre, même si leur amour tombe sous le sens...
Le fond de fantastique se précise également, et il est le
bienvenu. Si au début ce ne sont que des ébauches qui nous permettent d'entrer
pleinement dans le réalisme d'une époque à la fois proche et lointaine, une
fois que nous nous y sommes engloutis, cette intrigue fantastique nous pousse à
découvrir d'autres pans de cette époque, l'occultisme, tout ce monde caché qui
a toujours existé et qui construit merveilleusement un pont entre deux mondes.
Celui de l'avant-guerre, et celui de l'après. La libération des mœurs, des croyances,
qui va nous pousser, avec Armande, à revendiquer une autre place pour la femme,
plus d'égalité dans un monde où la hiérarchie sociale est en train de
s'écrouler peu à peu.
Un roman magnifique, que j’ai pris un plaisir infini à lire.
Un très beau coup de cœur que je vous recommande plus que chaudement <3
Points
positifs :
écriture fluide, qui oscille entre lyrisme et réalisme. Des personnages
vraiment très travaillés, attachants, à la fois drôles et touchants. Un
scénario captivant, une intrigue qui tient en haleine. Une époque historique
très bien retracée, qui nous permet de nous plonger complètement dans un autre
temps.
Points
négatifs : pas
trouvés, à part que l’autrice écrit beaucoup trop bien et que ça a été
difficile de lâcher le roman une fois fini ! <3
Note : 5/5